LES APRÈS-MIDI D’UN FONCTIONNAIRE TRÈS DÉJANTÉ de UPAMANYU CHATTERJEE
Editions Robert Laffont – 2021- Pavillons poche- 534 pages-
Traduit de l'anglais par Carisse Busquet en 2002, édition première en 1988
Adapté au cinéma en 1994 (prix du meilleur film au festival de Nantes)
PITCH:
Derrière ce roman satirique à l’humour hautement caustique se cache une véritable réflexion sur le sens de la vie de chacun, sa place dans le monde et son droit à s’en saisir.
Un superbe livre qui peut nous aider ou nous déranger, selon l’endroit où nous en sommes sur notre propre chemin de vie…
Personnellement, j’admire le courage de l’auteur pour avoir dénoncé un fonctionnement maltraitant, et avoir osé aborder la grande sensibilité chez un homme qui ne parvient pas à se soumettre à cette norme abusive mais bien inscrite.
RÉSUMÉ
Agastya Sen , jeune érudit sensible –fils de gouverneur et ancien ministre bengali– fraîchement diplômé de l’IAS (Indian Administrative Service) est envoyé dans la petite ville de Madna afin d’y accomplir le stage final auprès de tous les fonctionnaires du département, avant d’être nommé lui-même adjoint préfectoral. Commence alors l’odyssée intérieure de ce jeune étudiant pas vraiment dans la norme sociétale, rêveur, peu ambitieux, amateur de poésie et fumeur invétéré de joints. Le jeune homme va expérimenter toutes sortes de phases : solitude, ennui, isolement, cogitations, spéculations, rêvasseries, mal-être, nostalgie, insomnies, colère, fantasmes, obsessions, divagations alcooliques, auto-persuasions, provocations, dépression, idées noires.
LE CONSEIL DU MATOU CHARLY:
"Franchement, ne va pas en Inde si tu crains les moustiques ! Et si tu n'as pas le choix, alors choisi Calcutta car : « Les moustiques de Kolkata sont plus civilisés, ils ne piquent jamais au visage. »"
LA DRÔLE D'ORDONNANCE DE LA PSY ET COACH EN HERBE :
Si tu as compris que tu pourrais devenir haut-fonctionnaire en fumant de l'herbe chaque jour et en restant sur ton lit à te masturber, je te conseille de relire calmement le roman et cette chronique, car tu as dû mal interpréter le cynisme de l'auteur. Ça arrive ! Bois plutôt un bon tchaï indien accompagné de gulab jamen !
MON AVIS
Avec quel talent l’auteur nous emmène en fait dans les profondeurs de l’âme humaine et nous montre pas à pas combien l’ennui, les rêves non permis puis les déviances (corruption) auront de répercussions sur l’identité communautaire, sexuelle, religieuse, sur les rapports Orient-Occident. Il explique en fait combien la négation de Soi sera source de malheurs dans sa propre vie puis aura des répercussions dans la vie des proches, des moins proches, des autres en général bien au-delà des frontières.
Ce monde de la fonction publique a ses propres règles :
« Dans le gouvernement il n’y a pas d’honnêteté absolue, il n’y a que des degrés de malhonnêteté. Tous les fonctionnaires sont plus ou moins corrompus. Bien sûr, l’intégrité n’est pas synonyme d’efficacité. »
« A Madna, on mesure l’importance d’un haut fonctionnaire au temps qu’il se fait attendre avant un concert. »
La vie de ces hommes (pas de femmes !) est au fond bien triste. Coincés, englués dans leur obséquiosité, leur paresse, leur laisser-aller général (ils sont bedonnants), leur suffisance, ils sont forcément adeptes d’un communautarisme aggravé !
Ils n’ont en fait d’énergie que pour critiquer, dénoncer, humilier. Chacun en prend pour son grade, les fonctionnaires entrés par la petite porte, les moins gradés ( »pour eux, mourir, c’est davantage de repos ») les journalistes, les anciens fonctionnaires anglais (qui écrivaient car ils n’avaient rien d’autre à faire !), les caricaturistes dangereux, les écrivains indiens vivant à l’étranger, les femmes, les jeunes, …et même entre eux (le préfêt de police « ne montrait jamais son admiration trop ouvertement de peur que ses compliments, mal interprétés, ne trahissent la jalousie de la police à l’égard de la magistrature »)
Le narrateur nous informe que dans l’année à venir, le personnage principal va se poser des questions existentielles. Et c’est alors sans filtre, de façon crue parfois qu’il va nous faire observer Agastya et sa lente dérive, ses difficultés d’adaptation, ses ruminations et apitoiements.
Son oncle lui dit : »Tu es un mélange absurde, une éducation littéraire dans un pensionnat anglais et un obscur prénom issu d’un mythe hindou. ».
« Agastya n’avait jamais eu d’ambition, sans doute parce qu’il n’avait jamais été malheureux ».
??? Le jeune homme va-t-il (et doit-il) s’habituer à cette vie qui lui semble contre nature ???
??? Jusqu’où doit-il se confronter à la norme pour ne pas déplaire à ses parents ???
??? A-t-il le droit de décider de son avenir, de son chemin de vie ???
??? Peut-il prétendre au bonheur ???
« Tout comme lui, la plupart des hommes choisissaient leur destin dans l’ignorance et s’agitaient dans un monde hostile avec lequel ils faisaient des compromis et qu’ils apprenaient à accepter de plus ou moins mauvaise grâce. Ou bien ils sombraient dans le désespoir. »
Mais notre jeune homme peut-il se résoudre à faire semblant, à faire avec ? Il déteste Madna, cette ville humide et brulante au milieu de nulle part, Kolkata lui manque, de même que les intellectuels et artistes bengali.
Face à son impuissance, Agastya va devenir provocateur (il côtoie un caricaturiste très décrié), menteur et affabulateur, s’inventant un monde et cultivant son imagination débridée, de plus en plus perturbé, reclus chaque après-midi dans sa chambre, nu, à se masturber et lire du Marc Aurèle après le jogging matinal.
« Il finissait par s’assoupir d’épuisement mêlé de désespoir ».
! RÉGALEZ-VOUS !