« LA JUIVE DE SHANGAI » de Marek Halter
XO Éditions– Novembre 2022 – 363 pages-
RÉSUMÉ C’est dans le Berlin de 1937 que la jeune juive polonaise Ruth a trouvé refuge. Elle travaille comme couturière et nourrit des rêves de styliste de haute couture. Ses pas la mènent à sauver la vie de Clara, jeune allemande qui va rapidement rejoindre Shangai en tant qu’espionne communiste. Les deux sœurs de cœur vont s’y retrouver miraculeusement après un périple éprouvant pour Ruth, partie de Varsovie à travers l’Europe de l’Est, la Sibérie et le Japon, grâce à un visa obtenu par le consul du Japon en Lituanie, un Juste reconnu pour les 6200 visas qu’il a octroyé à des Juifs. En l’an 2000, sa fille Bo Xiao-Nao raconte sa mère suite au précieux journal intime que tenait Ruth.
PITCH Une fabuleuse épopée dans laquelle s’entremêlent les ténèbres de la guerre et la lumière de l’espoir symbolisé par cette amitié improbable et indestructible. Marek Halter vous attrape en début d’histoire grâce à son talent de conteur, vous fait embarquer à bord de ce bateau-roman où l’écriture fluide vous emporte, Il vous fait partir en exil, et lutter contre le nazisme ! Vous aussi, vous voulez survivre, et vivre ! Vous aussi vous êtes Ruth, Clara, Frau Opel, Hugo et les autres.
MON AVIS Hitler n’a pas seulement pris des vies, il a brisé des destins, éteint des rêves. Ruth a 22 ans avant la guerre, elle a un don évident pour le stylisme modélisme, talent qu’elle cultive et qui attire l’attention de Frau Opel, une allemande mondaine, une femme moderne qui gère seule son salon de couture « Mode et beauté d’aujourd’hui ». Ruth devient la protégée de cette protestante engagée contre le nazisme qui fait tout ce qu’elle peut pour permettre à sa pouliche talentueuse de devenir un succès. En premier lieu, elle transforme Ruth Rotstein en Ruttie Roth, pour mieux la cacher derrière un « masque » allemand. Mais à chaque coup de baguette maléfique qu’agite Hitler, l’étau se resserre, et le rêve s’évapore…
L’auteur nous offre un roman très féminin dans lequel il prouve à merveille la force de la femme dans l’Histoire. Ces deux héroïnes si différentes se complètent comme la lune et le soleil, ensemble elles deviennent invincibles. « La rencontre avec Ruth avait constitué un prodige qui ne pourrait se répéter que dans un autre monde. Un monde purifié de la peste nazie. » Chacune incarne à sa façon la vie, l’une plus réservée et naïve, l’autre plus révoltée, mais fortes de leurs rêves. « Vous aussi, vous devriez vous battre au lieu de rester là, à attendre qu’ils vous piétinent comme des rats ! C’est pour vous aussi que mes camarades sont morts. Pour vous, les Juifs ! Vous savez ça ? »(dit Clara). Au sein de ce chaos, cette histoire d’amitié symbolise le retour de l’humanité, du partage, de l’entraide, de l’acceptation de l’autre. « Une part de chacune vivait dans l’autre ».
Lorsqu’Hitler envahit la Pologne, l’Europe centrale et de l’Est comptent onze millions de Juifs. Les frontières se ferment, personne ne veut plus d’eux, les voilà pris au piège. « Ici à Varsovie, nous ne comprenons toujours pas : il n’y a pas d’arme plus mortelle pour nous que l’illusion. Personne ne nous aidera », dit le cousin journaliste de Ruth. Pourtant il y a eu l’annexion de l’Autriche en mars 1938, puis « la nuit de cristal » en novembre, les lois antisémites. La peur règne, doublée d’un certain fatalisme : « C’était comme une très, très vieille maladie du peuple juif. Elle courait sous la peau sans qu’on ne puisse jamais en guérir : la menace, la peur, la valise »
Certains ont entendu parler de Shangai, à l'image de la tante de Marek Halter, la talentueuse modéliste qui lui a inspiré ce livre. Mais comment faire ? En Lituanie, à Kaunas, un consul japonais délivre des visas pour transiter en train à travers la Russie et sa Sibérie glaciale ! Les Juifs le nomment « le saint ». Mais l’Allemagne vient encore de poser un acte lourd : l’axe Rome-Berlin-Tokyo. Alors quand les Juifs atteignent le Japon, les Allemands proposent simplement de les faire couler en mer dans des bateaux… Les Japonais refusent tout de même ! Ils les envoient à Shangai, ville qu’ils occupent. « Quelques dizaines de milliers de Juifs y ont trouvé refuge. Ce n’est que sous la pression des nazis que les Japonais, leurs alliés, ont accepté de les enfermer dans un ghetto. Et bien que les conditions de vie y fussent misérables, la plupart a survécu ».
J’ai beaucoup appris à travers ce roman, j’ai ouvert Google Map, situé ces pays que je connais si peu, la Lituanie, la Russie jusqu’à Vladivostok si proche du Japon, Minsk en Biélorussie. Et j’ai rendu grâce à Dieu d’avoir pu vivre ce périple, assise dans un fauteuil confortable, une couverture douillette sur les genoux et Charly contre moi, buvant un thé parfumé. Mais une phrase m’a profondément marquée : « Or le courage, Ruth, notre courage de Juifs d’aujourd’hui, c’est de parvenir à rester vivants »
LE CONSEIL DU MATOU CHARLY, INTELLO MAIS PAS TROP : Cette chronique, c’est mon carnet à moi. Aujourd’hui je rends hommage à mes ancêtres chats, à tous ceux qui sur les bateaux chassèrent les souris et les rats pour que les bipèdes ne soient pas attaqués ou contaminés ! Ils n’eurent pas des vies faciles, entre le mal de mer, les séparations familiales parfois… Mais nous félins, avons le sens du devoir. Et je suis sûr, je veux croire qu’arrière-arrière grand papa aura un peu aidé Ruth dans son si douloureux voyage.
LA DRÔLE D'ORDONNANCE DE LA PSY ET COACH EN HERBE : « Nos valises à nous ne pèsent plus grand-chose. C’est tout ce qui est à l’intérieur de nous qui est épuisant à transporter ». Alors oui, plus que jamais, le carnet tient un rôle majeur. Bien sûr il est la preuve écrite qui servira pour la transmission, et non juste un récit oral qui se transforme et se déforme avec le temps. Mais au-delà de ça, il devient le confident de l’âme en errance, l’oreille attentive de la personne blessée.
! Rêves et humanité en toutes circonstances !
Vous avez apprécié ? Je vous conseille « L’humour juif expliqué à ma mère » de Franck Médioni (éditions Chiflet&Co), et Marek Halter suggère la lecture de « Pivoine « de Pearl Buck.