« RESTE » d’Adeline Dieudonné
Éditions L’iconoclaste – 276 pages – 1er semestre 2023
Une petite bombe atypique, sans filtre et nécessairement dérangeante.
PITCH : un roman féministe engagé sur la place assignée aux filles dès le plus jeune âge pour les rendre obéissantes, cool et peu compliquées, avec à la clé bien sûr des pétages de plomb en plus d’un mal être quotidien ! Vu à travers ce paradigme, cette histoire improbable est finalement un peu une suite logique... « Je suis prête à parier mon clito » que vous allez adorer ce roman !?
RÉSUMÉ : amoureuse depuis des années d’un homme marié, la narratrice passe quelques jours avec lui au bord d’un lac. Mais elle retrouve M. noyé, et… terrassée par la douleur, ne veut pas se séparer de lui, de son corps. Une semaine d’improbable road trip commence alors, durant lequel elle écrit à l’épouse officielle deux lettres explicatives, libératrices et hallucinantes.
MON AVIS : je lis Adeline Dieudonné pour la première fois après l’avoir rencontrée en librairie. J’avoue avoir été séduite par le grand écart entre cette charmante blonde de bonne famille aux allures douces et bien comme il faut, et ses sujets de livres, « difficiles », inhabituels donc choquants (pas pour moi mais pour certains ils peuvent l’être), où elle dénonce, alerte. Elle se sert par moments du monde merveilleux du conte dans lesquels nature et animaux viennent donner du corps aux choses douloureuses qu’elle raconte froidement, l’air de rien. Existe-t-il plus poignant pour marquer les esprits que de conter calmement l’indicible et les injustices bien ancrées dans les habitudes de vie ???
Y a-t-il plus atypique qu’une femme qui garde avec elle le cadavre de son amoureux, et se met à écrire des lettres à la femme officielle ? « Je crois que ces pages vous montrent que M. vous aimait. Et puis, surtout, vous voyez qu’il est bien traité. Je m’en occupe comme il faut. Je fais de mon mieux. »
Il s’agit donc de la lecture d’un roman d’amour, d’un roman épistolaire, d’un roman noir, d’un roman social et féministe : et d’un roman nécessaire. Pourquoi nécessaire ? Mais parce qu’il n’est nullement question d’une héroine lambda qui craque à cause d’une situation ubuesque, mais d’une représentante de la gent féminine qui explose au nom de tant d’autres qui souffrent en silence, jusqu’à l’abandon de leur identité, la maladie, même la mort lente. Et pour une fois, cette réaction délirante est racontée sérieusement, sans jugement et surtout sans humiliations d’habitude réservées aux bonnes femmes... Alors cette femme, c’est vous, c’est moi, c’est elle qui n’a d’ailleurs pas de prénom ! Et dans les souvenirs qui vont lui revenir en conscience, beaucoup d’entre nous se reconnaitront ou seront déstabilisées. C’est l’heure du bilan forcé par cette disparition, cette mort, cet abandon, ce face à face avec elle-même.
C’est vrai que la narratrice pète un câble ! Le choc émotionnel lui ôte tout discernement, toute pensée réaliste, et cette suite de décisions s’installe pour résister au chagrin immense, comme une survie. Poser un choix dans un état de choc est forcément voué à des complications … Mais bon, la souffrance est comme un vortex qui vous avale, vous et votre raison. « M. a besoin de moi. Ou j’ai besoin de veiller sur lui. Je ne l’abandonnerai pas. » En pleine lecture, j’ai pensé à Céline Dion chantant « encore un jour, encore une heure… », mais Céline avait la musique comme exutoire. La narratrice, non… « Je vais retourner m’allonger contre lui. » La mort soudaine a révélé avec violence toutes les failles de son passé, toutes les souffrances enfouies, les non-dits, les croyances limitantes.
LE CONSEIL DU MATOU CHARLY, INTELLO MAIS PAS TROP : pour être honnête, les relations de couple ne sont pas ma spécialité, je suis célibataire, castré et ma fois…ça facilite la vie. Quand je vois tous ces humains, je ne suis pas envieux ! « Jacky appartient à la vieille génération. Papa-maman-enfant-hortensias-labrador ». Qu’en pensez-vous ? Est-ce que ce serait mieux autrement ? L’agencement du couple est un peu comme une boîte de Lego, on fait ce qu’on peut, on construit tout le temps et puis, un courant d’air et tout se casse la gueule lamentablement… Et on recommence… Et… Et…
LA DRÔLE D’ORDONNANCE DE LA PSY ET COACH EN HERBE : un roman iconoclaste qui fait la guerre aux idées reçues (normal qu’il soit édité par L’iconoclaste alors !) L’autrice ose parler viol conjugal, aidée par des métaphores, par ses amis les animaux et armée d’un humour parfois glaçant mais efficace. Et oui ! Si certains hommes le pratiquent naturellement, Adeline ose en parler naturellement, sans mettre les formes (Égalité oblige !). Choquant ? Ah bon ? Quoi ? Le viol ou qu’une femme en parle un peu crument en le définissant et le racontant ?
« Il est probable que je sois retournée avec Hugo non malgré le viol, mais à cause de lui. Un sanglier c’est fort, c’est dangereux, c’est masculin. »
La voilà la source du malaise : les filles qu’on a éduqué comme des petites choses fragiles et qui se sentent forcément comme « une matière molle, presque liquide, qui s’ajustait aux nécessités de l’autre ».
Vous avez apprécié ?
Alors perso, je vais lire son best-seller « La vraie vie » et « Kérozène ». Et vous ?