« LE CHARLATAN » d’Isaac Bashevis Singer

Éditions Stock la cosmopolite en 2020 –premières parutions en feuilleton décembre 1967– 412 pages–Traduction : Marie-Pierre Bay et Nicolas Castelnau-Bay

Partons ensemble dans l’univers d’Isaac Bashevis Singer, prix Nobel de littérature, un écrivain qui sait merveilleusement mêler le rationnel et l’imaginaire, avec humour et parfois une pointe de grotesque. On rit autant qu’on s’interroge sur nos sentiments parfois bien ambivalents…

PITCH : Comme si devoir abandonner son pays, parfois même sa famille n’était pas assez difficile, les hommes saupoudrent leur exil de multiples emmerdements comme les passions amoureuses, les mensonges, les faux-semblants, les intérêts, les traitrises… Aucune pénurie d’embrouilles (pas comme la moutarde ou le riz…)

 RÉSUMÉ : Hertz Minsker, intellectuel et soi-disant écrivain, s’est réfugié à New York en 1940 avec Bronia, sa quatrième épouse, qui sous le coup de la passion a abandonné ses enfants et leur père au sort du ghetto de Varsovie. Se disant malchanceux, Hertz, très paresseux et opportuniste, se fait aider financièrement par son ami Morris Calisher, arrivé en 1935, devenu riche dans l’immobilier, et ignorant que sa femme Minna le trompe avec son protégé… Mais les secrets n’ont qu’un temps, et l’arrivée de l’ex-mari de Minna qui a échappé aux Allemands malgré les toiles (fausses) de peintre connus qu’il transporte, fait l’effet d’une bombe.

MON AVIS : Sous couvert de vaudeville à rebondissements, l’auteur traite de sujets tous plus sérieux les uns que les autres. Résumer le livre en quelques phrases m’a paru dangereux, les grandes lignes de l’histoire pouvant faire penser au premier abord à un roman facile où se côtoieraient les stéréotypes. NENNI MA FOI ! L’auteur est maître en l’analyse des caractères, ses personnages sont d’autant plus  complexes que l’est leur histoire, rien n’est noir ou blanc, chaque identité est tiraillée, bouleversée, tentée par des expériences si différentes, influencée par un inconscient collectif et par l’actualité politique. Il est question de la survie dans l’exil et de ses conséquences, de la culpabilité humaine suite aux décisions, de la fin qui ne devrait pas justifier les moyens, du rapport au divin.

Le personnage principal, Hertz Minsker, a bien mérité un livre à lui ! EN THÉORIE, l’homme a tout pour être un « premier de cordée » (désolée, mais depuis 2022 c’est THE terme à la mode) : charismatique, intellectuel érudit dans les domaines de la psychanalyse, de la philosophie et de la théologie, il travaille à écrire un chef d’œuvre traitant de la nature humaine. DANS LES FAITS, notre bonhomme procrastine chaque jour que Dieu fait, séduit et envoute toutes les femmes qu’il croise, s’assied sur les principes, ment allègrement, réfléchit même à modifier les règles de la Torah qu’il juge trop sévères et pas assez hédonistes, cède à toutes ses passions, pratique l’occultisme, aime démesurément l’amusement, est endetté, nonchalant, obsédé sexuel et fantasme sa vie comme dans un film de science-fiction. « Ce n’est pas grâce à Freud que tu gagneras ta vie » (lui dit Morris). « Malheureusement, il avait perdu la grâce, pour sombrer dans une sorte de médiocrité. Il aurait dû devenir un rabbi, à la tête d’une cour. Ou un grand dirigeant juif. Il possédait culture, sagesse, sensibilité. Et même la foi. Mais tout était sans dessus dessous en lui ».

 Et pourtant, Hertz culpabilise, ne comprend pas la raison de tant d’ennuis. Il sera même accusé d’être un « gigolo philanthrope, un souteneur amateur ». Le Larousse donne définit ainsi le mot charlatan : « Celui qui exploite la crédulité publique, en vantant ses produits, sa science, ses qualités ». Mais agit-il volontairement ou malgré lui ? « Tel était son destin : avant même d’arriver quelque part, il y avait déjà des ennemis. Cela restait un grand mystère ».

 Résultat, si vous le rencontrez, contrôlez votre libido (mesdames) et votre admiration pour son aura (messieurs), car Hertz aura beau vous faire passer de délicieux moments, il ressemble à un ouragan américain semant pertes et peines. Après son passage, il faut reconstruire !

L’auteur est né en 1904 en Pologne, alors annexée par les Russes. Toute sa vie il s’efforcera de propager sa langue d’écriture, le yiddish. Qui mieux que ce fils de rabbin hassidique connaît donc cette culture avec ses richesses et complexités,  son humour,  sa douloureuse histoire ? Les personnages de Singer ont, comme lui, des années auparavant, dû fuir en Amérique. La guerre bat son plein en Europe et le déracinement forcé qui les a sauvés de la Shoah porte en lui parfois un fort sentiment de la culpabilité du survivant.

Le spiritualisme, les croyances en des forces occultes, le dialogue avec les esprits tiennent un rôle important dans le livre. L’esprit torturé de notre anti-héros cherche des solutions à ses pensées obsédantes, comme une libération. Il flirte avec les femmes, mais aussi avec l’au-delà !

---

LE CONSEIL DU MATOU CHARLY, INTELLO MAIS PAS TROP : Moi, j’aime beaucoup cet écrivain, il était un végétarien convaincu et militant. Il ne supportait aucune torture, pas plus sur les animaux que sur les humains. Il avait connu l’exil, la survie, et avait gardé de l’empathie, de l’humanité et du respect pour tout ce qui a un cœur qui bat.

---

LA DRÔLE D'ORDONNANCE DE LA PSY ET COACH EN HERBE : Hertz Minsker le charlatan… Aujourd’hui, on cèderait à la mode, à la tendance, on le traiterait plutôt de manipulateur ! Alors mesdames, écoutez cette chanson d’Aznavour (1963) et tentez de l’appliquer pour vous libérer des boulets comme Hertz !

https://www.youtube.com/watch?v=Ls2uYR5J5E0  

---

 Vous avez apprécié ? Si vous avez aimé l’humour, le cynisme et le grotesque, vous aimerez sûrement « Les après-midi d’un fonctionnaire très déjanté « d’Upamanyu Chatterjee

http://ohpardontulisais.canalblog.com/archives/2022/11/15/39709610.html