GARE À LOU de Jean Teulé

5 octobre 2023

Éditions Julliard + Pocket 174 pages

Un conte science-fictionnel ? Une parodie d’anticipation ?

PITCH : Un drôle de monde dans lequel un État grotesque mais dangereux ne va pas hésiter à utiliser une gamine pré-ado et son étrange don pour agrandir son pouvoir…

RÉSUMÉ : Lou, gamine de milieu très modeste, douze ans, surnommée « Dents de lapin » à son école, vit seule avec sa mère au 276^ème étage d’un écorche-ciel. Elle découvre qu’en souhaitant une calamité à quelqu’un, celle-ci se réalise aussitôt… L’État enferme alors la gosse avec trois militaires gradés dans un endroit secret dans le but d’en faire une « arme totale » qui rendrait de gros services au pays. Mais Lou a plus d’un tour dans son sac !

MON AVIS : cette histoire de Jean Teulé a beaucoup divisé ! Personnellement, je l’ai lue avec un plaisir incroyable. Ce texte n’est pour moi pas un roman mais un conte : on ne connaît ni le lieu exact ni la période, de nombreux personnages font partie du domaine du réalisme merveilleux, l’histoire paraît légère et superficielle mais elle nous permet, à chacun.e, de nous interroger en profondeur sur l’âme humaine ainsi que le rôle des politiques et de l’armée à son service. Le livre ne commence pas par Il était une fois, mais il aurait vraiment pu.

L’auteur nous emmène dans un conte science-fictionnel dans lequel j’ai ressenti son incroyable plaisir d’écrire. Il joue avec l’anticipation, invente, imagine, crée de l’absurde. Nous sommes dans une sorte de quartier plein d’écorche-cieux où les plus pauvres habitent les étages les plus hauts. Au pied de l’immeuble de Lou, la tour de l’incendie, on trouve le Bar des Sanglots dans lequel les malheureux commandent des « peines infinies », « un inconsolable » ou « des secousses nerveuses… » Le président de la République, lui, habite un palais de 1,5 km de haut dont le plafond est une boule à neige. « Le palais présidentiel devenu objet intemporel en sa sphère ludique et poétique apporte au secteur une décoration élégante et de l’éclat ».

La jeune Lou Moaï-Seigneur (quel nom !!!) est moquée à l’école et se découvre un pouvoir, celui de souhaiter du mal en retour. Très vite les gosses ont peur de cette gamine à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. « Je voudrais que tu tombes dans l’escalier. » Fastoche, y’a qu’à le dire à voix haute ! Mais l’histoire lui échappe rapidement et quand un simple gardien de la paix comprend tout, ça tourne à l’affaire d’État. À votre avis, que choisissent les gens de pouvoir, craindre Lou ou la manipuler ?

Jean Teulé tourne l’armée en dérision à coup, entre autres, de métaphores. Les trois haut-gradés qui vivent reclus dans l’endroit secret avec la gamine en prennent pour leur grade ! Armand Mangeboeuf de Bois-Joli, le chef des guerres au sol, s’en prend à Paul Écaille, le chef des guerres dans l’eau : « Le liquide est votre domaine. » « Moi, je passerai l’aspirateur et ferai les poussières. Ça me rappellera quand je nettoyais au napalm enrichi les champs de pavot de l’Asie centrale. Après c’était si propre qu’on aurait pu manger par terre. »

Plus ridicules les uns que les autres dans leurs « tenues de camouflage genre feuillage de sous-bois pour l’un, ciel nuageux pour le deuxième et remous marin pour le troisième », les gradés sont chargés de son éducation militaire…

Car Lou n’est plus considérée comme une simple gamine mais comme une arme totale qui doit être entretenue. « Ça y est, la pièce défectueuse a été remplacée et donc l’arme est redevenue opérationnelle. » Mais la jeune arme voudra peut-être penser, agir à sa guise, refuser d’obéir ? A-t-elle compris dans quoi elle a été enrôlée ? La fillette possède des pouvoirs paranormaux mais jusque-là, ils lui servaient à se défendre ou à jouer un peu à la justicière… Et puis, elle a douze ans. Seulement. Comment va-t-elle agir, loin de sa maman et sous la houlette de ces drôles de militaires ?

LE CONSEIL DU MATOU CHARLY, INTELLO MAIS PAS TROP : L’auteur a choisi de parler dans ses premières pages d’une petite bestiole aux allures de monstre, à la queue de poisson et au museau de bovin adoptée à l’animalerie où personne ne voulait d’elle… Je miaule haut et fort que tous les animaux se valent ! Le chat à sa mémère ne vaut pas plus que le crapaud de la mare ou la punaise de lit (bon…elle, c’est peut-être un peu différent, j’avoue…)

LA DRÔLE D’ORDONNANCE DE LA PSY ET COACH EN HERBE : La vengeance par simple souhait, dans le feu de l’action… hum… Qui doit punir ?

« Contente toi de nuire…aux autres » dit un des gradés à Lou. Jean Teulé se moque d’un pouvoir en place qui paraît absurde, grotesque. Ce pouvoir n’existe que dans les contes alors ? Ce serait si rassurant d’y croire.

Posté par Tu lisais à 11:51 - Commentaires […] - Permalien [#]